Que rien n’est impossible (si je suis prête à me battre)

Cet article aurait pu s’appeler « de mes deux jours à Ottawa » ou « de mes deux jours au Parlement » ou que sais-je encore. Mais je me rends compte que ce dont je me souviendrais c’est ça « rien n’est impossible ». Des hommes le font, nous l’avons fait, tu peux le faire si tu le veux. Et tu devrais le faire parce que c’est un métier passionnant et gratifiant. Ce dont je me souviendrais c’est l’état dans lequel j’étais à la sortie de la première conférence. Je me sentais forte, indestructible et heureuse, surexcitée, motivée, extatique. Un mélange de sentiment incroyable que je n’avais jamais connu auparavant.

Mais revenons un peu en arrière pour ceux qui ne savent pas de quoi je parle. Il y a quelques mois, sur un des groupes Facebook de McGill, un post attire mon attention. Ca parle d’un séjour à Ottawa de 2 jours. Ca tombe bien je comptais y aller, à Ottawa. Ca parle de femmes et de politique. Ca tombe bien aussi ça m’intéresse, et pas qu’un peu. Donc je clique sur le lien et je tombe sur le site de Women In House (A Woman’s Place is in the House). Je ne vais pas vous faire une description complète, allez voir sur leur site tout est expliqué. Il y a un formulaire de candidature à remplir: pourquoi serais tu la candidate idéale, qu’est ce que t’apporterais le programme, que ferais tu pour améliorer la participation des femmes en politique. Retour sur Facebook. Dans les commentaires, la fille qui a posté le lien précise que les canadiennes seront favorisées (puisque c’est leur Parlement qu’on va voir, forcément). La flemme de répondre aux trois questions, surtout si j’ai aucune chance. Je serais jamais prise de toute façon, ça sert à rien.

Mais la veille je me dis, stop arrêtes de te dévaluer, tu le fais à chaque fois et à chaque fois tu as ce que tu veux. Ça ne coûte rien d’essayer alors vas y, et si t’es pas prise tant pis. Donc je prends deux heures et je remplis le formulaire. Le pire dans tous ça c’est qu’en fait j’avais des choses à dire. Et apparemment des choses intéressantes…

Quelques jours plus tard, alors que je m’ennuyais royalement dans mon cours d’Urban Planning, un mail apparait sur l’iTouch (très gentiment offert par ma sousoune d’amour que je remercie :p ) « Gmail – Women In House – Congratulations! … » Vague de bonheur dans mon cœur. Sur le coup il faut avouer que j’étais surtout heureuse de partir à Ottawa deux jours tout frais payés. Mais franchement, rétrospectivement, j’aurai payé avec plaisir.

Être acceptée c’est la première leçon que m’a donnée WIH: 130 candidatures et 30 places, très grande majorité d’américains. 2 ou 3 étudiantes d’une autre nationalité dont 1 française, moi. Je ne suis pas nulle, je ne suis pas inintéressante, je ne suis pas débile, je suis capable. Ça parait con. Et les gens qui me connaissent mais ne sont pas très proches de moi croient que j’ai une confiance en moi à toute épreuve. Non, loin de là. Vous voulez une preuve? Je n’ai parlé à personne de ma candidature. Surtout pas à ma famille ou à mes amis proches. Trop peur de pas être prise. Trop peur de rater et de pas être à la hauteur.

Mais tiens dans ta gueule mon manque de confiance, j’y suis dans les 30 et fuck that! Quand on veux on peut.

Bref, revenons à nos moutons. Le 6 novembre, petite réunion où les 3 coordinatrices (des participantes de l’année dernière) nous expliquent comment ça va se passer. Il faut s’habiller « Business attire », pas trop mon style. Du coup séance shopping avec Amina, pro incontestée du business attire. J’ai un pantalon, un blaser, des hauts très classes et le 19 à 6h30 am je suis dans le bus.

La première journée fut intense. Dès notre arrivée, à peine le temps de poser nos bagages et de nous changer, la première conférence commence. 5 femmes, une femme politique, une journaliste, deux activistes (dont une est entrée en politique) et une lobbyiste, viennent chacune leur tour nous parler de leur carrière, de leur parcours personnel, des difficultés mais aussi des récompenses. Beaucoup parlent de la culpabilité vis-à-vis des enfants. « La culpabilité sera toujours et forcément là, mais ça vaut le coup et quand vous partez travailler et que votre fils vous dit « vas changer le monde maman » ça n’a pas de prix. » Wahou. Juste, wahou. Toutes sont passionnées par leur métier. Toutes nous disent que ce sera plus facile pour nous, qu’elles seront là pour nous aider là où elles n’avaient pas de mentor ou de modèle. La moi enfant puis adolescente qui voulaient « changer le monde » jubile. C’est possible. C’est possible et c’est le choix d’une carrière plus qu’intéressante. « Apprenez comment fonctionne le système, faites attention à l’argent, comprenez les nouvelles technologies, ne vous excusez pas d’avoir des enfants, ne laissez pas les gens vous jugez sur votre apparence ». Mais surtout « allez y, engagez vous, n’attendez pas, ne cherchez pas d’excuses ». Première conférence de ma vie où je prends autant de notes et dont je ressort en me disant que c’est génial ».

WIH 2012!

WIH 2012!

Après ça, lunch, visite du Parlement (notamment la très belle bibliothèque, photos interdites désolée, vous pouvez avoir un aperçu ici ou ) et « Question Period » (= questions au gouvernement). C’est très tendu entre les conservateurs (au pouvoir) et l’opposition officiel (NDP) à cause de la question du budget.

Le Parlement

Couloirs du Parlement et Chapelle du Souvenir

Vue sur Ottawa depuis la Tour de la Paix

Vue sur Ottawa depuis la Tour de la Paix

Mais on ne peut pas rester longtemps car la deuxième conférence va commencer avec 3 députés: la seule députées du parti vert, un député libéral et une députée NDP. Une des coordinatrices leur pose des questions sur leur engagement en politique, sur la question de la parité etc. Mais très vite ils doivent partir: les conservateurs déclenchent des votes pour contrer les discours-fleuves du NDP. Dès qu’un vote va avoir lieu, dans tous les bâtiments et toutes les salles du parlement, une lumière flashe et une sonnerie retenti.

Question Panel - de g à d: Nikki Ashton (NPD), Elisabeth May (Verts), Irwin Cotler (Libéraux)

Question Panel (avec un oeil sur l’heure/Twitter)  – Haut de g à d: Nikki Ashton (NPD), Elisabeth May (Verts), Irwin Cotler (Libéraux)

Pas le temps de faire une photo de groupe, ils s’en vont. Du coup on a 2 heures de libres. Avec quelques autres filles on décide d’aller visiter un peu. Un tour par la Cour Suprême, vue du Parlement de nuit, puis ByWard Market où je trouve du thé à l’érable.

Haut: Intérieur de la Cour Suprême - Bas de g à d: Cour Suprême, Parlement, Édifice de la Confédération

Haut: Intérieur de la Cour Suprême – Bas de g à d: Cour Suprême, Parlement, Édifice de la Confédération

Les rues d'Ottawa la nuit - ByWard Market

Les rues d’Ottawa la nuit – ByWard Market

Retour à l’hôtel et direction un cocktail offert par deux sénatrices (une libérale, une conservatrice). Plusieurs députés se joignent à nous. Pour la première fois de la journée on peut vraiment discuter en face à face avec les députés et sénateurs. Un peu impressionnant au début mais je pose quand même mes questions. Surtout une « comment faites vous quand vous n’êtes pas d’accord avec votre parti? » (C’est mon grand problème, si je veux m’engager en politique il faut que je m’engage dans un parti et très franchement je ne suis ni entièrement d’accord avec le PS ni entièrement d’accord avec le FdG ou EELV, bref c’est la merde). La conservatrice me réponds qu’il faut définir notre limite, les valeurs qu’on ne peut absolument pas trahir et faire des concessions pour le reste. Pas mal comme réponse. J’ai plus qu’à hiérarchiser mes valeurs, youhou!

Après ça dîner entre nous, j’avais déjà rencontré une québécoise, j’en rencontre une autre (qui d’ailleurs est allée en échange à Sciences Po haha!), moi qui désespérais d’en rencontrer à McGill!

Il est à peu près 23h, il est temps d’aller dormir. Le lendemain, rendez-vous au bureau de ma députée dans l’Edifice de la Confédération. Il est 9h, je suis en avance. Tant mieux, elle est déjà à son premier comité, elle a dormi 2 heures cette nuit car il fallait remplacer un collègue au comité des finances et du budget. Son assistant m’accompagne donc au premier comité de la journée, celui duquel elle est membre permanente: les affaires étrangères. Au Canada, les ministres sont des députés et l’opposition officielle désigne un « cabinet fantôme » avec ses propres députés. Eve Péclet – ma députée donc – fait partie du « ministère » des Affaires Étrangères. Le comité est public, deux témoins (des chercheurs) sont invités à donner leur avis sur la position que devrait prendre le Canada au sein du Conseil Arctique qu’il va présider pour 2 ans à partir de 2013. Géopolitique, commerce, souveraineté, écologie, eaux internationales, pays observateurs permanents, financement, tout est abordé. Je n’y connaissait rien (La France y est pourtant observateurs permanent tout comme plusieurs autre pays européens. Bien évidemment les pays scandinaves en sont membres à part entière. L’UE s’est cependant vues refusé le statut d’observateur permanent et doit demandé une autorisation à chaque fois, tout comme la Chine et le Japon) mais j’ai rapidement compris ce dont il s’agissait (avec parfois l’éclairage précieux de l’assistant de Mme Péclet) et ce fut finalement très intéressant. A la fin, un des experts a félicité Mme Péclet pour sa question (sur la réglementation notamment environnementale dans les eaux internationales). Wahou.

Ah oui parce que je ne vous ai pas dit. Ève Péclet a 24 ans. Elle en avait 23 quand elle a été élue et finissait à peine sa licence de droit à l’Université de Montréal. Elle m’a dit avoir toujours voulu faire de la politique ou au moins quelque chose en rapport, quelque chose d’engagé, mais qu’elle ne pensait pas être élue si tôt. En fait en 2011 il y a eu au Canada ce qu’on appelle la « vague orange » (la couleur du NPD). Les libéraux, qui étaient jusqu’alors l’opposition officielle, mais aussi le Bloc Québécois ont perdu de nombreux sièges au profit du NPD – notamment au Québec. Le NPD étant le seul parti fédéral à s’imposer des quotas, cela a permis d’améliorer considérablement la représentation des femmes et des jeunes à la Chambre des Communes.

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Ève Péclet (NPD) et moi

23 ans. C’est comme si un an après la fin de mon master, en mai 2015 (on n’est jamais à l’abri d’une dissolution de l’Assemblée à la Chichi haha!), j’étais élue députée. Ève m’a confirmé que, surtout par rapport à son âge, beaucoup émettaient des doutes sur ses compétences, mais qu’elle n’a pas renoncé. Elle a travaillé dur et sérieusement pour qu’on la prenne au sérieux.

Bref, après ce comité, Mme Péclet a du aller voter. Vote que j’ai regardé avec ses assistants depuis son bureau. Ensuite nous l’avons rejointe au comité des finances. Je n’étais pas censée pouvoir y assister car la séance était à huis clos (chaque député a donc droit à un seul membre de son équipe). Mais finalement son assistant m’a laissé sa place, donc j’ai eu la chance d’être au cœur de la question du budget. Comme c’était à huis clos je ne peux pas vous en dire plus sur le contenu de la séance MAIS à la fin j’ai eu le droit de prendre une photo de la salle qui était vraiment très belle:

Avouez que ça a de la gueule

Avouez que ça a de la gueule

Après ça on a lunché sur le pouce dans le « hall » de l’opposition. La Chambre des Communes (équivalent de notre Assemblée Nationale) est rectangle, la majorité et l’opposition se faisant face. De chaque côté de la salle, se trouvent des « hall » où les députés peuvent attendre pour voter, manger, faire des recherches sur les ordinateurs mis à disposition etc. Avant chaque vote ils doivent y être un peu à l’avance afin de faire acte de présence (c’est très contrôlé par les partis, il faut une bonne raison pour louper un vote). Ensuite j’ai assisté à la Question Period depuis ce même Hall.

le Hall de l'opposition (NPD, Libéraux, Verts, Bloc Identitaire)

le Hall de l’opposition (NPD, Libéraux, Verts, Bloc Québécois)

Après ça nous nous sommes rendues à une réunion de « ministre » des affaires étrangères de l’opposition qui rencontrait Tawakkul Karman, Prix Nobel de la Paix 2011 (rien que ça) pour son implication dans le Printemps Arabe au Yémen notamment concernant le droit des femmes, Prix qu’elle a reçu au côté de deux autres femmes Ellen Johnson Sirleaf et Leymah Gbowee. Rencontrer un Prix Nobel de la Paix, c’était un peu un rêve de gamine. (NB: Il faut savoir que chez mes parents, il y a un poster avec tous les Prix Nobel de la Paix dans les toilettes. J’ai lu les petites biographies de chacun avec une admiration sans limites. A mon avis c’est celui qui a le plus de valeur – ce qui explique mon agacement quand on l’offre le décerne à Obama ou dans une moindre mesure à l’UE) Alors en plus que ce soit une femme récompensée pour son action pour le droit des femmes dans son pays…

Ève Péclet et Tawakkul Karman

Ève Péclet et Tawakkul Karman

Après ça, encore deux votes puis Mme Péclet devait vite prendre la route pour Montréal où avait lieu une levée de fond pour le NPD. Elle a proposé de me raccompagner en voiture ce que j’ai immédiatement accepté. On a parlé de beaucoup de choses que je vais garder pour moi. Je vais quand même vous dire sa réponse quant au choix du parti qui étais similaire à celle de la libérale tout en ajoutant que tu peux aussi influencer à la marge les discussions au sein de ton parti sur les prises de positions officielles.

Vu ce que je lui ai dit, elle pense que je suis plus proche du PS. Mais moi je ne suis pas encore convaincue, il va me falloir du temps avant de vraiment faire un choix. Au pire je ne m’engagerais pas en politique mais dans le milieu associatif et militant. Une chose est sûr, moi aussi j’ai un peu envie de « changer le monde », que ce soit d’un façon ou d’une autre. Et face à tous les gens ou médias qui me diront ou me feront comprendre que c’est une perte de temps, que je suis trop idéaliste, qu’en vieillissant je changerai d’opinion, que « ne pas être de gauche à 20 ans c’est manquer de cœur, mais que de ne pas être de droite à 40 c’est manquer de cerveau » je penserai à ce qu’Ève m’a dit:

« L’intelligence en politique vient du cœur et pas de l’esprit »

Je penserai à toutes les femmes qui nous ont parlé pendant ces deux jours à leur message de combativité, de l’importance de se battre, d’y aller et d’y croire.

Je ne ferai peut être pas de la politique, mais à chaque fois que je serai découragée professionnellement je penserait à elles.

Ce blog n’a jamais aussi bien porté son nom.

Je vous laisse méditer tout ça

Je vous laisse méditer tout ça